Fr.Charles VALLIER Sgr du Saussay

Repéré dans un lot de documents en notre possession achetés en salle des ventes, un acte notarié de 16 pages daté de 1793 (voir extrait en fin d’article) sur papier filigrané au format 22 x 30 cm,  qui concerne la famille VALLIER. Par un hasard extraordinaire nous avons  pu compléter les données en achetant un autre manuscrit auprès d’un libraire belge. Ce second document, toujours sur la même famille, se compose de deux pièces sur papier filigrané au format 24,5 x 37 cm. La première est une esquisse de la seconde et lui forme chemise. La seconde, de huit pages d’une belle écriture, est la copie de la requête de François Charles VALLIER, alors en très fâcheuse position.

François Charles VALLIER est un noble atypique du XVIIIème siècle. Né en 1703 dans une famille établie au Comté du Saussay au Vexin Français, faisant alors partie du domaine royal de France, sa vie a été ponctuée d’honneurs et de scandales.

François Charles est le fils de Guillaume VALLIER, Conseiller du Roi, Président de la Seconde Chambre des requêtes du Palais, et de son épouse Elisabeth Françoise DU MAS. Guillaume VALLIER était Chevalier et seigneur Comte du Saussay, de Porcheux, Thibivillers et autres lieux. Il portait en écartelé aux 1 & 4 d’azur à la fasce d’or, et aux 2 & 3 d’azur à l’oiseau d’argent.

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En 1677 Guillaume avait doté la chapelle du Saussay en la rétablissant. Cette chapelle, qui se trouvait dans l’enceinte de son château, fut bénie à cette occasion (Archives de l’Oise G.136). Guillaume VALLIER détenait également le fief de Hardeville et celui de Prasville (Archives d’Eure et Loire B.476, G.5335). Possédant sans nul doute une belle fortune, il fit contraindre, en tant que légataire universel de feue sa mère Marie Le Normand, le receveur des Consignations, SANSON, pour bénéficier de l’exemption du droit du fait de sa charge de Conseiller du Roi, suite à l’achat d’une maison faubourg St Laurent à Paris (consignation de 6.000 livres).

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En 1704, dans le registre contenant les références de Messieurs les Présidents des Enquestes et Requestes du Parlement, on trouve Guillaume VALLIER, de la Seconde Chambre, reçu en septembre 1704, très vieux, infirme et sans capacité, qui n’a esté que dans les affaires !

Outre François Charles dont nous allons reparler, le couple VALLIER – DU MAS, marié en 1692, avait eu une fille Aimée Geneviève VALLIER qui s’était mariée avec  Joachim LE MAIRAT Seigneur de Nogent.

Comme cela sera mentionné pour François Charles ... on le vit successivement en « petit collet, en robe de palais et en uniforme » puisque après avoir été refusé dans l’Ordre de Malte, il fut de 1724 à 1730 Conseiller à la 3ème Chambre des Enquêtes, avant d’acquérir un brevet de Capitaine et devenir Colonel du Régiment de Champagne …

En 1731 eu lieu le partage des biens de Guillaume VALLIER qui était décédé à Paris en 1730, entre sa veuve Elisabeth Françoise Du MAS;  leur fils François Charles qui habitait alors avec ses parents rue des Francs Bourgeois à Paris; et leur fille Aimée Geneviève VALLIER épouse LE MAIRAT.

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Dès lors apparait le fâcheux penchant de François Charles VALLIER à dilapider l’argent, à tel point que sa mère se voit contrainte, en 1731, de provoquer une réunion de famille pour faire mettre sous tutelle, par voie de Justice, l’administration des biens de son fils « pour fait de prodigalité ». Cet acte notarié a été imprimé et publié pour faire savoir à tous que désormais François Charles VALLIER n’était plus solvable.

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Un Arrêt de décembre 1732 fait état du réglement des dettes et discussions des biens de François Charles VALLIER. Le document en notre possession fait état  quant à lui d’un « billet d’honneur » de février 1731 par lequel Charles François déclarait devoir 6.000 livres à Monsieur De LA BOULARDERIE, et qu’en août 1733 les Maréchaux de France avaient ordonné  un délai supplémentaire de paiement deux ans. N’ayant pas donné suite à ce nouveau délai, il se retrouva incarcéré en 1736 au Fort L’Evêque.

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Dans sa prison du Chatelet, de triste renommée (voir ici ===>>> ) il adressa une longue supplique et requête aux Maréchaux de France, dont voici la copie :

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Cette dernière supplique aura-elle su infléchir les Maréchaux ? En tout cas François Charles VALLIER semble sorti d’affaire car dès 1754, membre des Académies d’Amiens et de NANCY, on publie ses oeuvres consistant en poèmes, odes, essais, épîtres, comédie, ballet … (voir Les Auteurs français de 1771 à 1796 par J.S.ERSCH, Hambourg 1797).

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Il avait quelques talents littéraires comme le dit un ouvrage de 1772:

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et son Ballet d’Eglé fut présenté à Fontainebleau en 1765:

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Après avoir défrayé la chronique, en prenant la défense d’une femme maltraitée par son mari, et dont on disait qu’il avait des raisons particulières de la défendre, il fini par se marier sur le tard et avoir une vie « rangée ».

En 1778 il décéda dans sa maison rue de Clichy à Paris, et il fut inhumé dans le caveau attenant au choeur de l’église de Chlichy.

Son éloge a été lue en séance à l’Académie d’Alien en 1779 et publiée en 1900 au Tome XLVI par l’imprimerie Yvert et Tellier.

En voici le texte, qui nous donne les penchants du défunts pour les fêtes, les femmes et les arts.

Eloge de M. VALLIER (1779)

Francois-Charles Vallier naquit à Paris en 1704, de Guillaume Vallier, président de la chambre des requêtes du palais et d’Elisabeth-Francoise du Mas.

Une grande vivacité d’esprit, une imagination ardente, une conception facile lui faisaient saisir rapidement les leçons qu’on lui donnait au collège. Ses compagnons begayaient à peine la langue de Virgile et d’Horace qu’il parlait déjà celle de Sapho et d’Anacreon. II trompa un des amis de sa famille en donnant une terminaison grecque à tous les noms des villages voisins de la seigneurie de son père.

Son esprit comme son caractère s’annonçait par la gaité et la plaisanterie. Il se vengeait volontiers de ses camarades et quelquefois de ses professeurs par de petites pièces soit en prose soit en vers, presque toujours assez ingénieuses pour être pardonnées à un écolier et pour annoncer un maître. Du collège, il passa dans les écoles de droit, parce que son père le destina d’abord à son eétat. II étudiait les lois par obéissance, il cultivait les lettres par goût. Revêtu d’une charge de conseiller au Parlement, il l’exerça plutôt qu,il ne la remplit, et il n’y resta pas longtemps. Thémis fut oblige de céder à Mars, Apollon avait sans doute préparé la désertion.

Capitaine dans le régiment de Champagne, il se distingua dans la guerre d’ltalie. II fut blessé dans les deux batailles qui s’y donnèrent ; et quoique blessé, dès le lendemain il faisait dans Gremone des vers pour les veuves ou les soeurs de ceux que la veille il avait battus à Guastalla.

La guerre finie, M. Vallier se partagea entre les arts et les plaisirs de la paix. II faut convenir que le partage n’était pas tout à fait égal. Tous les goûts auxquels prêtait une fortune immense dont la mort de son père l’avait rendu le maître, toutes les dispositions d’une âme généreuse, toutes les prodigalités, toutes les fantaisies emportaient M. Vallier dans un tourbillon où il ne se reconnaissait pas, malgré quelques faibles efforts pour en sortir. Tout en paraissant ne songer qu’aux plaisirs, il n’oubliait pourtant pas les lettres.

Son régiment étant en garnison dans une petite ville de province, où une jeune femme maltraitée par un vieux mari poursuivait sa séparation en justice; il s’offrit pour plaider cette cause, et il le fit en véritable avocat. Il réussit, mais on disait tout bas que le défenseur avait dans la cause un interêt secret qui aurait pu être un moyen pour la lui faire perdre.

En sentant qu’il avait vraiment plaidé, M. Vallier disait aussi qu’il avait presque prêché. C’était dans une assemblée de charité qui se tenait à l’Evêché et en présence de l’Evêque. Le discours le plus pathétique sur I’aumône fut fait par lui aux associés, et sa péroraison fut une aumône pour les pauvres très abondante. Les pauvres était d’ailleurs les premiers dans l’ordre de ses dépenses, et ils auraient presque fait excuser celles qui n’étaient pas dans l’ordre.

La nouvelle guerre qui survint lui valut le brevet de colonel et le grade de brigadier des armées du Roi. Mais les blessures dont il était couvert et qui avaient altéré sa santé, la faiblesse de sa vue de plus en plus grande, l’obligèrent a quitter un état qu’il n’aimait pas moins que les lettres et les plaisirs.

Son goût des plaisirs fut diminué par l’administration de sa fortune et surtout par sa réflexion. Son amour pour les lettres s’en augmenta. Une de ses plus vives passions avait toujours été la poésie. Son talent se reconnaissait moins par les ornements et la recherche de l’élégance que par le fond des choses, par la raison, par la force, par les sentiments et le choix des sujets. II en faisait presque toujours le premier hommage ) notre Académie, dont il avait été l’un des premiers nommés, et oû il comptait autant d’amis que de confrères. On se rappelle un poème sur l’Amour de la Patrie, un autre sur l’Ecole royale militaire, l’Hôtel des Invalides et la noblesse accordée a ceux qui ont servi l’Etat. Sa lettre au roi Stanislas prouve qu’il était aime et estime de ce prince bienfaisant qui l’admettait souvent à sa table.

Ses vers sur Le Canal de Picardie, il avait su les rendre plus intéressants par un hommage au sage et vertueux administrateur de cette province et par l’éloge de l’homme de génie a qui elle doit le canal souterrain, entreprise la plus hardie et la plus admirable peut-être de l’industrie humaine.

Les femmes n’oublieront pas son discours sur les dispenses que peuvent avoir les mères les plus honnêtes de nourrir et allaiter leurs enfants, contre le système que la philosophie moderne a peut-être trop étendu, quelquefois au préjudice des enfants et des mères, ni son parallèle des deux sexes relativement à la politique et aux lettres (on se doute bien que l’auteur fit pencher la balance du côte des femmes).

Citons encore l’éloge de Gevert, le héros de Prague, dont il avait été le camarade; celui de Gresset qui fut sa dernière Lecture à l’Académie. Le mot de lecture est impropre; M. Vallier ne lisait pas, il déclamait, servi par la plus heureuse mémoire. II a fait les paroles d’un opéra-ballet intitulé Le Triomphe de Flore qui fut représenté à la Cour et fort applaudi.

Nous ne parlons pas de nombreux petits ouvrages de sociétés, ni de ces fêtes données dans son château de Saussay, des spectacles où il faisait entrer des idées, de l’invention, de la poésie. Longtemps célibataire, et célibataire invétéré, il se maria enfin, et devint le modèle des maris. Mais il mourut subitement cinq mois après son mariage. Quand on apprit sa mort dans les sept paroisses dont il était seigneur, son château de Saussay, et tous les villages retentirent des gémissements et des cris des habitants.

M. Vallier était fort connu dans Amiens, et il lui était fort attache, regardant cette ville comme une deuxième patrie. Les assemblées de l’Académie étaient plus nombreuses quand on savait devoir l’y entendre ; elles semblaient plus animées, son âme semblait se communiquer à ses auditeurs. II y a recu tant d’applaudissements, il y a si bien fait l’éloge des autres, qu’il méritait que le sien fut mieux fait ; mais du moins il ne pouvait en recevoir un où le coeur eut plus de part.

Extrait de l’acte notarié de 1796 dont il est question au début :

extrait

Le château du Saussey.

Quelques recherches complémentaires nous ont permis de localiser le château du Comte de Saussey, dans la commune de Porcheux (Oise) et dont Mme De SARCUS était propriétaire en 1817.

saussay-1817Cette terre était le centre d’un Comté qui comprenait également les seigneuries de Porcheux, Hardivillers et Fayel-Bocage (site web de la Mairie de Porcheux). Le magnifique site de l’IGN nous donne les cartes de 1860 et de 1920 de ce lieu, avec la vue aérienne actuelle.

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